Dernier été à Hietzing by Sarah Paenson

Auteur:Sarah Paenson [Sarah Paenson]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Le Lys Bleu
Publié: 2024-01-02T23:00:00+00:00

Ainsi, chaque fois qu’ils auraient écouté Pavel évoquer de loin en loin ces années de fer et de sang, et pour eux qui savaient ce que cela avait signifié en termes de souffrances et de sacrifices, ils se disaient que c’était un simple survol qui en gommait l’horreur indicible, qui en gommait cette longue procession de vies anéanties ou brisées, celles de toute une jeunesse qui s’était engagée par milliers dans les rangs des Partisans, sauvagement torturée, assassinée, pendue, fusillée, puis ces villages de partisans où les lance-flammes entraient en action afin de les réduire en cendres, sans oublier tous ces enfants dont la survie avait été hypothéquée par la famine à une période cruciale où leurs corps en pleine croissance auraient eu un besoin vital de se construire, car elle revoyait les étudiants qu’elle avait fréquentés à Moscou et dont beaucoup à cause de ces temps faméliques, délibérément planifiés par Berlin, connaissaient des problèmes de santé ignorés de la jeunesse occidentale. C’est pourquoi, sous les mots trop pudiques de Pavel, Samuel et elle voyaient défiler une Russie invincible, une terre de souffrances, une terre immolée, délibérément brûlée par la bête, mais une terre qui renaissait toujours de ses cendres à force d’endurance et d’humble héroïsme au quotidien, celui de ces laissés pour compte qui s’étaient levés comme un seul homme dans un esprit de sacrifice nourri par une misère endémique, un seul homme tendu désormais vers un seul et unique but : tout pour la guerre, tout pour abattre ces fossoyeurs. Vaincre ou mourir. Et elle entendrait toujours un étudiant, orphelin de guerre, qui n’avait su que murmurer : « Oh, les Allemands, les Allemands », ses yeux s’étant gonflés de larmes. Des yeux tellement plus éloquents qu’un long discours et qu’elle ne pourrait jamais oublier tant ils lui avaient crevé le cœur de saisissement devant l’horreur d’une hécatombe dont elle n’avait pas encore pris toute la mesure, puisqu’elle avait seulement commencé à découvrir que les étudiants qui vivaient autour d’elle étaient presque sans exception des orphelins de guerre.

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